Pas de démocratie sans conflit
République ! Le Conseil Constitutionnel: un extra-terrestre
Pas de démocratie sans conflit: un espoir pour la démocratie ?
Pour beaucoup la démocratie est morte ou n'existe pas. Pour d'autres il faut la faire revivre avec des procédés douteux passéistes ayant été abandonnés depuis des siècles, pour d'autres encore, elle doit renaître sur le terrain vivant du présent et d'une histoire plus récente souvent inconnue ou mal connue de nos concitoyens.
Aujourd'hui les trois idéaux : Liberté-Egalité-Fraternité, chez la plupart des français sont des mots figés sur le fronton des mairies sans liens directs avec leurs vies .
Des mots sans foi peuvent-ils responsabiliser l'envie, l'engagement ?
Des groupes de réflexions dans des espaces démocratiques ouverts à tous ceux souhaitant s'investir et enrichir une Politique de spécialistes professionnalisés ne deviennent-ils pas indispensables ? Une politique incorrecte bien souvent surpayée : confondant promesses non tenues, incompétences, mensonges et manipulations ne bloque-t-elle pas la Vie démocratique à sa tête ? Coupée de la Vie engagée des citoyens par des directions "pipées d'avance" , la politique professionnelle peut-elle continuer à ignorer la vie bénévole des associations engagées ?
Ces dernières ne souhaitant pas servir de grands projets ou de grandes idées continuant à ignorer : égalité équité et répartition, cette politique bloquée peut-elle courir le risque d'être remplacée par d'autres catégories de penseurs coupés des réalités pratiques touchant directement la misère du peuple mais incapables de mettre en oeuvre en urgence des moyens afin de le sortir, de nous sortir d'un avenir incertain pour chacun ?
Alors dans ce cas pourquoi avoir peur de cet article : Pas de démocratie sans conflit par André Bellon Président de l'association pour une constituante.....
Mouvements contestataires et suffrage universel
Pas de démocratie sans conflit
Monde diplomatique Juin 2009
Célébrer la souveraineté populaire et la bafouer compte parmi les figures imposées du jeu politique. Ainsi, le Parlement français ratifiant le traité de Lisbonne, jumeau du traité constitutionnel rejeté par les électeurs le 29 mai 2005. La plupart des partis assignent d’ailleurs aux élections européennes l’objectif de « réconcilier » le « oui » et le « non ». Mais cette idéologie du consensus n’est-elle pas antinomique de la démocratie, dont l’objet est d’exprimer les conflits qui traversent la société pour les trancher pacifiquement ?
par André Bellon, juin 2009 *
Ancien président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale ; auteur de Pourquoi je ne suis pas altermondialiste - Eloge de l’antimondialisation, Mille et une nuits, Paris, 2004 et d’Une nouvelle vassalité. Contribution à une histoire politique des années 1980, Mille et une nuits, Paris, 2007.
« La mort, c’est la tranquillité absolue », se murmurait le prince Salinai au crépuscule de son existence. Cette recherche de la paix hors des vicissitudes du temps, faisant fi des péripéties de l’Histoire, n’est pas marginale dans la littérature. Qu’il s’agisse du prince Salina ou du capitaine Nemoii, l’accomplissement personnel dans l’éloignement des autres, par l’ignorance de la vie sociale, se retrouve souvent dans une littérature pessimiste vis-à-vis de l’humanité. La seule tranquillité absolue, cela étant, est bien la mort. Et ceux qui aspirent à la disparition des conflits dans l’organisation de la société ne savent pas qu’ils s’opposent à la vie. Le sort qu’ils réservent à la démocratie en est l’illustration criante.
Celle-ci est souvent présentée, de nos jours, sans susciter de tollé particulier, comme la recherche du consensus. Les thuriféraires du système politique dit moderne ont même théorisé la chose sous le nom de « démocratie apaisée ». Les principaux acteurs de la vie politique et la plupart des corps intermédiaires renforcent cette idée en ne la faisant pas vivre. Il a fallu que sa propre capacité d’expression au Parlement soit remise en cause par la majorité UMP pour que la Parti socialiste crie au viol de la démocratie qu’il ignorait pourtant, peu auparavant, en ne s’opposant pas au traité de Lisbonne qui bafouait le vote des français contre le traité constitutionnel européen (TCE).
Cette perception onirique de la politique gomme les vrais clivages en même temps qu’elle condamne les mouvements sociaux. On connaît le refrain, entonné de manifestation en manifestation par les tenants de l’ordre dominant : « Ce n’est pas la rue qui gouverneiii ». Mais, si les contradictions profondes qui traversent le corps social ne peuvent s’exprimer ni dans le cadre institutionnel, ni dans la rue, où est l’espace d’expression nécessaire à la vie démocratique ?
La démocratie n’est pas une méthode pour exprimer un consensus, mais pour trancher les dissensus. Lorsqu’en 570, le grec Clisthène instaura le suffrage universel à Athènes, loin de nier les conflits qui traversaient la cité, il avait pour seul but de les trancher de manière pacifique, de trouver une règle du jeu librement acceptable par tout citoyen. Pourtant, le rapport entre les luttes et la démocratie n’a jamais cessé d’être objet de controverses.
Au XIXe siècle, les républicains défendent le suffrage universel direct. Pour eux, l’État n’est pas sacralisé, il est une expression humaine qui ne tient sa légitimité que de la majorité des citoyens. C’est ce qu’exprime Léon Gambetta le 15 Août 1877 par sa célèbre interjection à Patrice Mac Mahon : « Quand le peuple se sera prononcé, il faudra se soumettre ou se démettre. » Il ajoute le 9 octobre 1877, exprimant le rapport entre ce principe et les affrontements politiques : « Comment ne voyez-vous pas qu'avec le suffrage universel, si on le laisse librement fonctionner, si on respecte, quand il s'est prononcé, son indépendance et l'autorité de ses décisions – comment ne voyez-vous pas, dis-je, que vous avez là un moyen de terminer pacifiquement tous les conflits, de dénouer toutes les crises ?iv ».
A la même époque, le rôle du suffrage universel direct était aussi objet d’affrontements au sein du mouvement ouvrier, certains n’y voyant qu’une manière de trancher les conflits internes à la bourgeoisie. Les partisans de Proudhon, par exemple, s'opposaient à Marx en niant toute autonomie au combat politique et en résumant la lutte des classes à la modification des conditions économiques. Jean Jaurès répondait que l’Histoire du mouvement ouvrier est en même temps celle de la construction par les ouvriers de leur propre espace public, de leur autonomie au sein même de la société capitaliste. Il insistait alors sur la nécessité de la démocratie comme instrument de libération et de lutte : « Ceux des socialistes d’aujourd’hui qui parlent encore de “dictature impersonnelle du prolétariat” ou qui prévoient la prise de possession brusque du pouvoir et la violence faite à la démocratie, ceux-là rétrogradent au temps où le prolétariat était faible encore, et où il était réduit à des moyens factices de victoirev ».
Bien sûr, chacun des camps qui soutenaient la démocratie y trouvait la possibilité de développer son influence. Mais le compromis républicain qui se créa alors en France et qui affirma d’ailleurs sa force dans la défense de Dreyfus, permit d’asseoir le principe démocratique.
La démocratie se présenta ainsi de plus en plus, au début du XXe siècle, comme un principe universelvi. Vingt ans plus tard, les pensées avaient profondément évolué. Les tendances d’extrême droite devenaient des acteurs légitimes dans le même temps où le système soviétique affirmait une forte emprise sur le mouvement ouvrier. La démocratie devenait contestée dans son principe même. Que s’était-il passé ? Vraisemblablement la guerre de 1914-1918 a-t-elle marqué une rupture fondamentale. Loin de permettre les affrontements politiques nécessaires quant à l’opportunité de la guerre, le jeu démocratique avait servi de masque à un consensus dramatique servant à justifier un massacre sans précédent. En retour, la boucherie que fut cette guerre a permis d’installer un système soviétique dont la démocratie n’était pas le fondement. Certains des révolutionnaires les plus conséquents tentèrent pourtant encore d’expliquer comment Démocratie devait rimer avec Lutte des classes. Ainsi Rosa Luxembourg appela-t-elle à « la démocratie la plus large et la plus illimitée », rappelant que « c’est un fait absolument incontestable que, sans une liberté illimitée de la presse, sans une liberté absolue de réunion et d'association, la domination des larges masses populaires est inconcevablevii ». Il était trop tard.
Certes, la fin de la deuxième guerre mondiale fut saluée comme le triomphe de la démocratie. Mais une révolution souterraine de la pensée avait eu lieu, un changement de notre rapport au monde. Le citoyen avait cédé la place à un homme de masse, individu atomisé, sans repères ni racines, proie facile pour les tendances autoritaires. Ainsi, dans les années 1940-1950, le Maccarthysme rima-t-il avec les procès staliniens dans le même temps où les interventions américaine au Guatemala en 1954 et soviétique en Hongrie en 1956 se faisaient écho.
Les évènements les plus récents, en particulier la chute du mur de Berlin n’ont évidemment en rien signé la fin du processus. Bien au contraire, ils ont tendu à légitimer le capitalisme vainqueur comme le seul système possible.
Le principe démocratique perd son sens profond en l’absence d’oppositions réelles. Loin donc de penser que démocratie et luttes sociales peuvent être antinomiques, il faut dire clairement que la lutte pour la démocratie est la base du combat social. Ainsi Aristote définissait-il : « Le principe fondamental du régime démocratique, c'est la liberté. Une des marques de la liberté, c'est d'être tour à tour gouverné et gouvernant. viii»
Il est vrai que la crise actuelle incite de nombreux citoyens à considérer la démocratie comme un combat secondaire. Il est vrai aussi que son dévoiement par des institutions et des partis qui la contournent incite peu à la défendre. Le premier combat est de lui redonner son sens face aux attaques qu’elle subit.
Le suffrage universel est l’instrument nécessaire du pouvoir du peuple. Mais, depuis que le principe en a été admis, nombreux ont été les moyens utilisés pour en contourner le sens et la mise en œuvre. En France, le suffrage universel ne fut pas institué lors des premières étapes de la Révolution de 1789. La première Assemblée nationale se prononça pour un suffrage censitaire, réservant le monopole de l’expression politique aux riches. C’est une insurrection populaire qui provoqua l’instauration du suffrage universel, celle du 10 août 1792 qui vit le peuple renverser la monarchie.
Après la Révolution, maintenu dans son principe, il fut dévoyé dans son application jusqu’à la fin du XIXe siècle. Ce fut sa transformation par l’utilisation des plébiscites sous les Napoléons, ce fut la restriction de la qualité d’électeur par des conditions de logement qui excluaient les ouvriers sous la IIe République, c’est l’absence des femmes dans le corps électoral. Sans doute dira-t-on que son rétablissement est aujourd’hui bien affirmé. En fait, son contournement est plus insidieux. Car si le droit de vote universel est généralement admis, c’est son objet qui est remis en cause. C’est l’importance d’une élection particulière, la présidentielle, qui élimine les nuances essentielles du débat et donne un pouvoir quasi discrétionnaire à une personne recueillant, à titre personnel, 20 à 35 % seulement des suffrages. Ce sont les contraintes qui pèsent sur le Parlement. C’est le faible enjeu laissé au débat démocratique sous prétexte des contraintes économiques et de la prégnance des directives européennes.
En expliquant qu’une telle situation stabilise le pouvoir et lui permet de survivre aux graves crises sociales, les tenants de cette évolution ignorent que c’est souvent l’absence d’expression politique qui a conduit au développement des affrontements de rue. La boucle est bouclée qui ramènerait au XIXe siècle. Un suffrage quasi censitaire, puisqu’excluant les véritables oppositions économiques et sociales, légitimerait un pouvoir qui, par ailleurs, s’opposerait aux luttes au nom de la démocratie autant que du libéralisme. C’est déjà ce que proposait la loi Le Chapelierix, dans la première Assemblée nationale, lorsqu’elle interdisait toute « coalition » tout en limitant le droit de vote aux plus favorisés. On abolirait ainsi un siècle d’avancées sociales et politiques.
N’est-ce pas déjà un extraordinaire recul philosophique lorsque les mots peuple, souveraineté, République, citoyenneté (ce mot n’a pas vraiment été pilonné, au contraire), qui définissaient la démocratie, ont été soumis à un pilonnage intensif qui soit leur a soit fait perdre leur sens, soit les a habillé de définitions péjoratives.
Qu’est-ce que la souveraineté ? D’après la Constitution française, le pouvoir du peuple qui l’exerce soit directement, soit par l’intermédiaire de ses représentants ; d’après la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le fondement de l'autorité des pouvoirs publicsx. La chose parait simple dans son principe. Et pourtant, que doit-on penser lorsque Romano Prodi, alors président de la Commission de Bruxelles, déclarait, en juillet 2001, que « l'Europe n'est pas administrée que par les autorités européennes, mais aussi par les autorités nationales, régionales et locales, ainsi que par la société civile ». Où s’exerce alors la souveraineté populaire ? Qu’est-ce que la légitimité de la fameuse société civile qui recouvre pudiquement l’influence des lobbies ? Dans ce mélange des genres, comment peuvent se manifester les véritables courants qui traversent la société ?
Les luttes sociales ne peuvent trouver qu’une légitimité bien restreinte dans cette scène composite où le peuple n’est plus qu’un lobby parmi d’autre. Il ne faut donc pas s’étonner de voir le résultat en France du référendum du 29 mai 2005 contre le Traité constitutionnel européen balayé par un coup de force après, d’ailleurs, que le Parlement européen eut voté qu’il ne fallait pas en tenir compte. Dans un tel contexte, la lutte n’a plus de possibilité de trouver une quelconque traduction politique. C’est d’ailleurs ce qu’exprimait cyniquement le TCE en proposant la recréation d’un droit de supplique pudiquement baptisé « droit de pétition »xi.
La démocratie n’a jamais été parfaite. Mais elle était, comme l’exprimait Jean Jaurès, « le milieu où se meuvent les classes », se révélant ainsi « dans le grand conflit social une force modératricexii ». Les attaques conduites contre ses fondements permettent de moins en moins cette expression politique des contradictions profondes. Il ne s’agit plus de bon ou de mauvais fonctionnement du système lorsque les travaux menés par des philosophes fortement médiatisés minent les principes mêmes de l’idée démocratiquexiii. Grâce à leurs travaux idéologiques, le mot de peuple entraîne la réaction populiste, le mot de souveraineté la réaction souverainiste, le mot de nation la réaction nationaliste, et ainsi de suite.
La charge de la preuve s’étant ainsi inversée, les tenants de la souveraineté populaire sont immédiatement en position de défense et le champ politique sur lequel pourraient s’exprimer les luttes sociales est fortement attaqué. L’individu voit nier à la fois sa liberté individuelle et l’intérêt de ses combats. Ainsi a pu se développer une conformité qui, d’un même souffle, nie l’importance du débat démocratique, champ d’affirmation des luttes sociales, et renvoie la solution des conflits à l’expression d’une transcendance : les soi-disant lois de l’économique.
i Personnage principal du Guépard, le roman de G.T. de Lampédusa.
ii Personnage principal du roman de Jules Verne, 20000 lieues sous les mers
iii Prononcé par Jean-Pierre Raffarin, premier ministre en 2003 lors des manifestations contre la réforme des retraites, repris par plusieurs ministres, en particulier lors des évènements de Guadeloupe en février 2009.
iv Léon Gambetta, Discours prononcé à Paris, au cirque du Château d’eau, 9 octobre 1877.
v Jean Jaurès, « Question de méthode », article-préface du 17 novembre 1901 sur le Manifeste communiste de Marx et d’Engels.
vi Ceux qui lui faisaient subir des entorses se sentaient obligés de tordre les faits pour prétendre cyniquement qu’ils respectaient les règles.
vii Rosa Luxembourg- La révolution russe
viii Aristote, Politique, 1317,b
ix Loi du 14 juin 1791 interdisant les syndicats ouvriers et le droit de grève
x Article 21 de la DUDH.
xi Pratique typique de l’ancien régime et qui caractérisait un pouvoir à la fois absolu et paternaliste.
xii Jean Jaurès, De la réalité du monde sensible. REF
xiii Lire par exemple la critique des thèses de Pierre Rosanvallon par Evelyne Pieiller, « Le couteau sans lame du socialisme libéral », Le Monde diplomatique, avril 2009. Voir aussi les thèses d’Antonio Negri sur le thème d’une multitude floue qui remplace le peuple en tant qu’être politique.